Allez, plus d'émotion sur le sulky

D. KaplanBy: Darryl Kaplan (Traduction: Louise Rioux)

Cet été, j’ai été frappé d’une forme contagieuse d’insomnie appelée Beijing 2008. Durant deux semaines exténuantes, les périodes entre 22 h et 6 h ont été consacrées à suivre des événements qui, d’ordinaire, m’intéressent peu, et qui, dans la majorité des cas, comptaient des athlètes qui m’étaient totalement inconnus.

Ce qui fait que la gymnastique par équipe, le plongeon synchronisé et le trampoline, à ma grande surprise, ont su retenir mon attention des heures durant, même en l’absence d’athlètes canadiens.

La raison, comme j’en suis venu à le constater, en est fort simple – les diffuseurs des Olympiques ont compris qu’aucun saut, plongeon ou vrille (même à l’échelon le plus élevé) n’est plus intéressant que l’émotion vécue avant, pendant et après chaque prestation athlétique. Les frappes des poings, les expressions de joie, de tristesse, de gaieté et autres manifestations, demeurent les points forts de chaque présentation.

Dans le sport, l’émotion est enivrante – qu’il s’agisse de soulever la coupe Stanley, d’exécuter la plus récente danse du toucher au football ou le chaos qui s’ensuit après chaque but au soccer. Même les golfeurs et les curleurs, qui ne sont pas particulièrement reconnus pour leurs démonstrations exubérantes et explosives, lèveront leurs bâtons et se frapperont les poings pour marquer un bon coup. C’est beau à voir.

Pour une quelconque raison en courses attelées, une règle d’étiquette non écrite s’est substituée au désir le plus fondamental de marquer ses victoires en laissant transparaître ses émotions. Après toutes ces années à entendre que le sport des courses standardbred est un sport pour le monde ordinaire, je ne peux m’expliquer pourquoi les quilleurs laissent plus éclater leur joie après un abat que les conducteurs de course après une victoire.

C’est un détail qui peut sembler insignifiant, mais course après course, soir après soir, les conducteurs qui se bagarrent pour des milliers de dollars, pour l’honneur et la gloire, franchissent le fil d’arrivée, levant à peine le fouet ou le bras en signe de victoire. Et nous ne parlons pas ici de photos témoin exclusivement. Des victoires avec huit ou dix longueurs d’avance ne sont apparemment pas une raison suffisante pour célébrer – du moins sur la piste.

Les courses attelées ont longtemps été critiquées comme un sport d’initiés. Les participants de l’industrie se sont habitués à ces accusations ridicules de complots pour préétablir ou modifier les résultats de course. Venant de la part de gens peu familiers avec la structure des courses, ces questions peuvent facilement être écartées.

Mais dans la conjoncture d’une culture sportive qui tend à célébrer chaque but ou victoire, comment expliquer la modestie remarquable des conducteurs de courses sous harnais? Ils se rassemblent au salon des conducteurs, se parlent avant et après les courses, sont parfois connus du public pour être des amis ou comme faisant partie d’une fraternité, et ils ne réagissent pas publiquement après leurs victoires.

Vous et moi sommes assez proches du sport pour comprendre le niveau de concurrence que se livre la colonie des conducteurs sur pratiquement tous les hippodromes nord-américains. Mais les apparences sont importantes. C’est tout simplement d’envoyer le mauvais message au public, à qui nous demandons de suivre les courses et de parier en toute confiance.

Qu’y a-t-il de mal à ce que les conducteurs aient du plaisir sur le tracé? Bizarrement, l’idée de célébration après une victoire est en quelque sorte devenue associée à du vulgaire spectacle ou à de l’étalage au mépris des autres concurrents. Mais imaginez-vous en train de regarder un match de hockey où les compteurs et coéquipiers patinent tranquillement hors de la glace après un but, comme s’il s’agissait d’un simple changement ligne. Ça me semble ridicule.

Même dans le monde du thoroughbred, les jockeys sont atteints du même syndrome que les conducteurs sous harnais, mais ils célèbrent au moins leurs vraies grandes victoires. Voyez les courses du Kentucky Derby, de la Queen’s Plate ou la Breeders Cup. À quelques exceptions près, les conducteurs vainqueurs descendent de selle dès après avoir franchi le fil. On ne peut pas dire la même chose pour ce qui est de la vaste majorité de nos plus grands événements où un subtil geste du fouet marque la victoire à l’arrivée.

Notre couverture ce mois-ci, se veut un hommage aux beaux jours où les tribunes populaires étaient remplies à capacité et que les courses sous harnais volaient les manchettes. Le flamboyant spécialiste des rênes sur le sulky – Hervé Filion – n’était peut-être pas très subtil, mais les courses sous harnais s’en seraient-elles mieux porter s’il l’avait été?

J’en doute fort.

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